SANS-ABRI AUTOCHTONES

La pointe d’un iceberg de mal-être

Pourquoi les autochtones sont-ils surreprésentés dans la rue ? Entrevue avec le Dr Stanley Vollant, chirurgien innu de la communauté autochtone de Pessamit.

À Montréal, 10 % des sans-abri sont autochtones (Inuits ou Premières Nations), mais les autochtones représentent 0,5 % de la population. Pourquoi sont-ils surreprésentés ?

C’est la pointe d’un iceberg, en fait. Et l’iceberg a plusieurs pointes : l’itinérance, le décrochage scolaire, le taux de suicide, les femmes disparues, les morts suspectes d’enfants… On essaie de traiter chaque pointe de façon différente, mais elles sont toutes reliées ensemble sous l’eau et c’est le même criss d’iceberg en dessous.

Et c’est quoi, l’iceberg ?

La problématique d’un mal-être dans les communautés. La sécurité émotionnelle des gens n’est pas assurée dans les communautés en raison de la pauvreté, des services qui ne sont pas disponibles, de l’élément de violence qui vient de l’histoire sociale récente [colonisation, pensionnats]. Tous ces éléments-là mis ensemble font en sorte que les communautés en arrachent beaucoup. Et plus tu es éloigné, plus tu en arraches.

Les Inuits, d’ailleurs, sont surreprésentés parmi les sans-abri autochtones de Montréal…

Ce n’est pas juste le fait de Montréal ; on voit la même chose à Ottawa. Ce sont des gens qui ont fui des situations difficiles dans leur communauté : consommation, problème d’abus, problème de violence… Ils sont partis en ville avec l’idée d’un monde meilleur, en se disant qu’en changeant de milieu, leur situation s’améliorerait, qu’ils auraient du travail, mais ils amènent avec eux leurs problématiques (consommation, santé mentale). En ville, ils perdent leurs repères culturels, leur tissu social. Et ils se retrouvent dans la rue.

Et on fait quoi pour améliorer la situation ?

Il faut trouver la racine. Et la racine, c’est améliorer les conditions de vie des autochtones en général. Investir dans l’éducation, dans les services. La journée où nos communautés seront des endroits où il fera bon vivre, se développer, s’éduquer, grandir et s’aimer, de moins en moins de gens vont aller en ville. Et les gens qui iront en ville vont y aller par choix, pour faire quelque chose de spécial. Pas pour fuir une situation.

Des intervenants qui travaillent auprès de sans-abri nous ont raconté avoir croisé des autochtones gravement blessés, mais qui refusaient qu’on les conduise à l’hôpital. Y a-t-il une méfiance de leur part envers le système de santé ?

Je pense qu’il y a une méfiance globale de tous les autochtones – qu’ils soient dans la rue ou non – envers les soins de santé. Et les sans-abri – autochtones ou non autochtones – entretiennent aussi une méfiance envers les systèmes de santé. Ils savent qu’ils vont être jugés, que les infirmières et les docteurs vont être bêtes. […] Je pense qu’on devrait enseigner, dans nos écoles de santé – médecin, infirmière –, le concept de sécularisation culturelle, soit apprendre à traiter les gens sans préjugés, en mettant de côté nos lunettes de Nord-Américains qui ont vécu une vie aisée.

La vision de la santé des autochtones est-elle différente de la vision de la santé occidentale ?

On peut parler de santé holistique, d’une vision plus globale des principes de santé. En Ontario, d’ailleurs, il existe 14 centres intégrés de soins en milieu urbain où les autochtones peuvent avoir accès à des médecins réguliers qui travaillent en collaboration avec des guérisseurs et des intervenants en centres autochtones.

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